Mon rapport à la critique

Mon rapport à la critique

Durant l’année 2018, j’ai passé des heures (littéralement) à écouter des vidéastes qui expliquaient avec moult détails, références et arguments, pourquoi Star Wars 8 était une catastrophe cinématographique, une erreur d’écriture de bout en bout. Leurs analyses étaient limpides, elles me renvoyaient à de nombreuses règles d’écriture que je connaissais assez pour les utiliser dans mes romans, et parfois elles m’en faisaient découvrir de nouvelles. “Apprends ce qu’il faut faire en comprenant ce qu’il ne faut pas faire.” Ça tombait sous le sens, et je ne pouvais que m’associer à cette sentence d’apparence universelle : Star Wars 8 était raté.

Plus que cela, j’éprouvais une certaine fierté en regardant ces vidéos. Pas une fierté pour moi, qui aurait enfin compris la “Vérité” de la médiocrité d’un film, non : une fierté pour le public. Nous étions enfin arrivés à une ère de la communication où les grandes règles d’écriture étaient mises à la portée de tous, où l’ingénierie des romanciers était vulgarisée au même titre que les autres sciences, mise au-devant de la scène pour que chacun ait un regard un peu plus savant, un peu plus sceptique sur les blockbusters. De quoi forcer les producteurs à investir dans une qualité supérieure plutôt que de faire de l’argent avec la facilité.

Et pourtant…

Pourtant j’ai aimé Star Wars 8. Assez pour le voir deux fois au cinéma.

Si je le revoyais aujourd’hui, après toute cette vague de critiques et d’analyse, je le trouverais médiocre sans aucun doute. Je pourrais me dire que je le verrais “mieux”, pour ce qu’il est vraiment, et non un artifice qui a su leurrer mes yeux et bluffer mon esprit. A contrario, je pourrais me dire que la critique et l’analyse m’auront à jamais gâché le plaisir d’un film. Car n’est-ce pas l’objectif premier du cinéma, de leurrer les yeux et bluffer l’esprit ?

J’ai fini par assumer que Star Wars 8 m’a plu. J’assume aussi que je le trouve mauvais à bien des égards.

Cette expérience a profondément transformé mon rapport aux critiques et analyses sur internet, et je trouve amusant de constater un fait similaire avec la nouvelle série Rings of Power, préquelle de la trilogie Seigneur des Anneaux qui figure parmi mes films préférés, tout genre confondu. Je cherche les vidéos d’analyse : on y parle d’incohérence, de paresse d’écriture ou de non-respect de l’œuvre de Tolkien. Je cherche les vidéos de réaction : les vidéastes découvrent avec des étoiles plein les yeux les paysages, les dialogues ou les musiques. Ma propre contradiction se retrouve, en quelque sorte, dans ce paysage vidéoludique.

Mois qui étais le premier à réciter haut et fort les faiblesses de Star Wars 8, je lis aujourd’hui tant de messages clamant que Rings of Power est un affront aux fans de Tolkien. Ne suis-je pas l’un de ces fans ? N’ai-je donc pas le droit d’apprécier la série ?

Alors j’ai fini par tomber dans la nuance. Je crois que critiquer une œuvre en dit souvent plus sur nous-même que sur l’œuvre. Une “hater” de Harry Potter se focalisera peut-être sur l’incohérence du système magique, tandis qu’une fan s’intéressera davantage au charme des personnages ou à la féerie de l’univers, ou peut-être à quelque chose d’intime qu’elle ne saurait mettre en mots, mais qui n’est pas moins présent que le reste. Pourquoi l’une ou l’autre devrait avoir tort ?

Autant je suis fier du nouvel attrait des gens pour les techniques d’écriture (que je vois bien davantage sur le youtube anglophone que francophone), autant, à parcourir les commentaires et les vagues de critiques sous certaines vidéos d’analyse, j’ai l’impression que cette vulgarisation du storytelling a armé tout un tas de gens avec des arguments simplistes et à l’apparence d’objectivité. On avait l’habitude de lire “C’est nul” à la place de “J’aime pas”, maintenant on l’a remplacé par “C’est nul parce-que telle scène ne respecte pas le show don’t tell”. A-t-on gagné quelque chose ? Ou a-t-on empêché certains esprits, même le temps d’un visionnage, de se faire bluffer par un bout de cinéma ?

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