Ma philosophie d'écriture
Du storytelling “efficace” ?
Les structures en 3 actes, le Show don’t Tell, les arcs narratifs… Tous ces outils de storytelling sont considérés comme “efficaces” pour structurer et raconter une histoire, des méthodes qui ont fait leur preuve maintes et maintes fois. Mais que signifie “efficace”, exactement ?
L’efficacité se définit toujours par rapport à un objectif. Un marteau est efficace pour planter un clou, mais on se garderait bien de l’utiliser pour scier une branche… Ce que l’on peut dire, c’est que certains outils de storytelling ont montré leur efficacité pour construire une histoire accessible au plus grand nombre – leur omniprésence dans le cinéma hollywoodien en est la preuve. Pour ne prendre qu’un exemple, le Want VS Need (règle selon laquelle le personnage principal doit réaliser que ce dont il a besoin n’est pas ce qu’il voulait au départ) est la base des arcs narratifs dans d’innombrables films jeunesse. Oui, ces histoires parlent au public parce qu’elles reposent sur des règles d’écriture qui ont fait leur preuve d’efficacité.
Mais, et si l’on n’écrit que pour soi ? Et si ce court-métrage que l’on a réalisé avec la caméra de notre portable n’est fait que pour nos amis, ou notre famille ? Certaines histoires ne suivent pas les règles conventionnelles d’écriture, et parfois ce sont celles qui nous touchent le plus, et l’on désespère de les voir passer sous le radar du grand public – mais nous auraient-elles autant touché si elles s’étaient conformées à la boîte à outils “populaire” ?
Si vous souhaitez construire des maisons pour les revendre à un grand nombre de personnes, mieux vaut utiliser les techniques conventionnelles d’architecture, avec des matériaux normés et sur des terrains attractifs. Mais qui vous empêcherait de creuser une grotte sous la forêt amazonienne pour vous et votre famille proche ? Vous risquez difficilement de la revendre plus tard, certes, mais après tout, si le résultat vous plaît, à vous ?
Ma philosophie sur les théories de storytelling est une philosophie du “populaire”. Mon objectif est de toucher le grand public, qu’un maximum de personnes puissent découvrir mes univers et se laisser emporter par les émotions de mes personnages. J’utilise donc des outils qui ont fait leur preuve d’efficacité pour atteindre pareils objectifs. Bien sûr cela peut contraindre la créativité, les idées folles qui tournoient dans mon esprit quand je le laisse divaguer, mais de mon point de vue, les idées qui ne toucheraient pas le cœur de mes lecteurs sont des idées qui ne méritent pas d’être gardées.
Parfois, les bonnes idées sont celles qui sortent des règles établies…
Parce qu’il n’existe pas de théorie universelle de storytelling. Tous les outils sont interprétables et peuvent être déformés selon les besoins d’autres outils (par exemple, trancher net juste avant ou au début du 3ème acte pour attirer le lecteur vers le tome suivant, ce qui est souvent fait dans le deuxième tome d’une trilogie). Comme dirait le capitaine Barbossa dans Pirates des Caraïbes, “The Code is more what you’d call ‘guidelines’ than actual rules.” Infuser le récit d’une âme, d’une originalité qui nous est propre, ce n’est pas rejeter les règles conventionnelles, c’est ce qu’on fait de ces règles, comment on les utilise, et comment on se les approprie.
Au final, la seule “vraie” règle à suivre quand on veut toucher un large public (et surtout le toucher de la manière souhaitée), c’est la beta-lecture. Terminer un brouillon, le peaufiner, puis l’envoyer à des personnes extérieures qui pourront l’apprécier et le critiquer. C’est une pratique habituelle dans la musique, les arts du spectacle ou le cinéma, mais dans la littérature, beaucoup de gens sont surpris que je demande l’avis d’autres gens avant de publier. Comme si un roman, contrairement à une pièce de théâtre ou le titre d’un album, risquait d’être souillé par la moindre critique ; comme si changer la prose sur l’avis d’un tiers porterait atteinte à l’identité de l’œuvre. Ce serait le cas si je n’écrivais que pour moi, mais j’écris pour les autres avant tout – quel égoïste je ferais si je me moquais de leur ressenti et de leur intelligence pour m’améliorer ?
Conclusion
Les théories sont des outils. Elles ne trouvent leur intérêt que dans les objectifs que l’on s’est fixés, et la méthode de construction d’histoires que j’utilise (la Triforce du Récit) n’y fait pas exception. Gardons-nous de juger ceux qui rejettent les outils, car leur objectif est peut-être différent du nôtre. De même, gardons-nous de juger ceux qui les utilisent en pensant que ça freine la créativité. Les techniques de storytelling contraignent autant l’imagination que les lois de la physique contraignent un magicien.