Introduction du Portail Scénario
La construction d’un scénario peut être à la fois d’une facilité déconcertante, et d’une complexité infinie, selon comment on l’aborde. Ce premier article consacré à la partie Scénario de la Triforce du Récit servira d’introduction pour comprendre les bases de la conception d’un récit (selon ma vision des choses, évidemment).
Le schéma global
Tout commence avec une ambition. Sans même parler de personnages ou de systèmes magiques : Est-ce qu’on veut sauver le monde d’un cataclysme ? Ou juste s’évader d’une prison ? Comme pour faire un gâteau : ça ne sert à rien de sortir du placard 30 ingrédients différents si on veut faire une simple tarte aux pommes. En tant que créateurs tout puissants d’une histoire, on a facilement tendance à en mettre trop. Pour ma part, ça vient surtout d’un manque de confiance en mes capacités. “Je veux raconter une histoire d’amour, mais je ne pense pas savoir le faire très bien, alors je vais rajouter des enjeux politiques, et une réflexion sur le racisme, et la découverte d’une nouvelle magie, et…” Vous avez compris l’idée.
“Less is More.” Quand j’ai travaillé sur “Les égarés de l’altermonde”, je voulais raconter, justement, une évasion de prison. Alors j’ai construit une structure simple pour le scénario : on veut s’évader, on essaie sans savoir comment s’y prendre, on échoue, alors on recommence avec un plan, et… Ne comptez pas sur moi pour spoiler le roman, mais l’idée est là, rien de compliqué, le genre qu’on a vu plein de fois auparavant. Avoir une structure aussi simple m’a donné de l’air pour respirer, de l’espace à combler. Grâce à un scénario simple, j’ai pu écrire les personnages les plus complexes qu’il m’ait été donné d’écrire, tout en abordant des thèmes riches en réflexions.
Si je ne peux pas décrire le cœur de mon histoire en trois actes (situation initiale et son bouleversement, voyage du héros (intérieur ou extérieur), résolution finale), c’est que je ne sais pas où je vais, ou que je veux partir dans trop de directions différentes. Même les grandes sagas, aussi complexes soient-elles, peuvent se résumer à une structure simple dont le “3 actes” n’est qu’un exemple parmi d’autres. On peut toujours ajouter de la profondeur ensuite (et heureusement), mais les lecteurs ont besoin de repères pour savoir où 1) ils en sont, et 2) où ils vont. Et c’est grâce aux repères qu’on peut emmener le lecteur là où il s’attendait pas – et oui, on ne surprend pas quelqu’un qui ne sait pas à quoi s’attendre, même inconsciemment !
Les arcs narratifs
Il n’y a pas de scénario sans personnage pour le vivre. A l’intérieur de la structure globale de l’histoire, les arcs narratifs servent à tracer la route émotionnelle, les climax, les revirements de situations, les choix décisifs… Si chaque étape des 3 actes a une fonction précise dans le déroulement des événements, chaque progression à l’intérieur de cette structure a un rôle à jouer dans la découverte à la fois du monde et de la psychologie des personnages.
Ce niveau intermédiaire entre le schéma global et le “scène par scène” donne la manière de vivre les différents actes : les “subplots” (scénarios secondaires). Ce sont eux qui permettent d’explorer en profondeur les thèmes du roman. Et oui ! Laisser Gollum tuer Sauron par accident plutôt que de laisser Frodon le faire, ça n’affecte pas les trois actes du Seigneur des Anneaux, mais ça change beaucoup de choses sur l’arc narratif de Frodon et Gollum, en plus de proposer de nouvelles réflexions philosophiques sur la nature du Mal.
Les chapitres et les scènes
Un chapitre ou une scène doit toujours servir un rôle, soit de progression scénaristique, soit de développement de personnages, soit d’approfondissement de l’univers, soit de réflexion sur les thèmes. Dans l’idéal, mieux vaut toucher plusieurs cibles d’un coup – une scène qui ne sert qu’à faire avancer le scénario paraît souvent superficielle, et un chapitre de développement de personnages qui n’a pas d’impact sur les événements est bien souvent ennuyeux. Toutefois, soyons honnêtes, on a souvent envie de raconter une scène à l’instinct, sans avoir à y planifier chaque détail à l’avance, et c’est logique : il est difficile d’anticiper ce que la plume, notre “voix intérieure”, apportera comme surprise. Comme sur une peinture, on peut décider de faire un aplat rouge, mais de là à planifier chaque micro traînée du pinceau dans cet aplat… De fait, une bonne partie de l’écriture de scènes échappe à la préparation. Pour autant, cela ne peut échapper à la remise en question, et c’est là que la question du rôle est cruciale : il faut pouvoir prendre du recul, et se servir de la structure globale ou des arcs narratifs pour juger les scènes, non pas par ce qu’elles valent par elles-mêmes, mais la fonction qu’elles servent. Combien de fois ai-je écrit des chapitres dont j’étais extrêmement fiers… avant de réaliser qu’ils n’apportaient rien au récit. Qu’on le veuille ou non, une bonne scène ne l’est qu’eu égard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Pour autant, il existe bel et bien des méthodes de construction qui sont particulièrement efficaces pour construire certains types de scènes. Le but de ces techniques n’est pas de renier l’instinct initial, mais de l’aider à se développer, à définir un rythme, à créer du mouvement scénaristique, à établir le ton du récit, ou à travailler le style.
Mais encore…
Cet article sert à poser les bases sur la construction de scénario. Mais qu’est-ce qu’une structure en 3 ou 4 actes, au juste ? Comment utiliser les arcs narratifs pour développer une histoire ? Quelles méthodes peuvent donner du mouvement à une scène avant même de l’écrire ? Les articles du portail Scénario (retrouvez la liste ici) permettent d’approfondir chacun de ces points, et d’autres encore.