Le pouvoir de la réaction
En 2020 j’écrivais la première partie d’un roman de Dark Fantasy particulièrement « dark ». J’étais fier de ce que j’avais écrit et je le faisais relire à une poignée de beta-lecteurs pour avoir leur avis. Ce qui en est ressorti a pour le moins altéré ma fierté : le rythme n’allait pas. Il se passait trop de choses, on s’y perdait dans l’histoire, car tout semblait important. Comme si vous embarquiez sur un grand huit, qu’on vous lançait des bombes à eau tout le long du manège et qu’on vous demandait, une fois descendu, de réciter la couleur des ballons dans l’ordre.
Du point de vue d’un auteur, il peut être compliqué de savoir quoi faire d’une telle information. Doit-on retirer des éléments du scénario ? Doit-on ajouter des descriptions pour clarifier l’action ? Comment lier la nécessité de réduire la complexité, et en même temps de ralentir le récit ?
Pour moi, la réponse provenait d’un autre ressenti de mes lecteurs : on ne s’attachait pas au personnage principal. J’ai fini par comprendre que, ce qui manquait, c’était de la réaction. Je devais faire des pauses dans le récit, insérer des espaces entre les moments d’action. Pas pour ajouter des flashbacks, parler de mythologie ou ajouter des descriptions de lieux, mais pour laisser le protagoniste réagir aux événements.
Jusqu’alors, je pensais que trop prendre le temps de réagir, trop rentrer dans l’état mental du héros à un moment précis, entrait en contradiction avec la fameuse règle du Show Don’t Tell. A la place, je préférais montrer ce que le personnage faisait ensuite, laisser le lecteur comprendre sa psychologie à travers sa manière d’agir. C’est l’un des dangers de trop se focaliser sur la règle du Show Don’t Tell (un danger que j’évoque dans mon article dédié).
Car en vérité, on peut interpréter de mille façons les agissements d’une personne ou ses prises de décisions. Considérer que l’action ou la décision, seule, donne au lecteur assez de clés pour comprendre précisément les motivations d’un personnage suite à un événement important, c’est un pari dangereux, car échouer signifie rendre le personnage incompréhensible. Et on ne s’attache pas à quelqu’un que l’on ne comprend pas. Une personne, fictive ou non, est rarement intéressante par nature, mais l’est par sa manière de réagir aux gens, aux lieux, et aux obstacles de la vie. Privez un personnage de ses réactions émotionnelles et de ses conflits intérieurs, et vous vous retrouverez face à un nom sur une page et des actions mises bout à bout.
Une manière de contourner le problème est de planifier un passage de réaction après chaque événement qui fait avancer le scénario, et d’adapter la taille de ce passage en fonction de l’importance de l’événement. Ça paraît simpliste, mais de mon expérience actuelle, ça marche remarquablement bien. C’est parfois une phrase à ajouter, parfois c’est un chapitre entier, car la création d’un trauma ne peut être prise à la légère. Par ailleurs, écrire ces passages, c’est discuter avec la psychologie de son personnage, c’est le découvrir un peu plus, même quand on croyait l’avoir déjà cerné.
Le roman que j’ai écrit après celui-ci a fait office d’exercice en la matière : j’en ai planifié la structure pour avoir une alternance parfaite de chapitres d’action et de chapitres de réaction. Au vu des retours, cette technique a fonctionné à merveille. Encore aujourd’hui, les protagonistes de ce roman sont les personnages les plus complexes qu’il m’ait été donné d’écrire, et c’est sans nul doute grâce au pouvoir de la réaction.
J’ai classé cet article dans le portail Scénario de ma méthode d’écriture car on y parle d’une technique pour structurer le récit et planifier l’enchaînement des scènes, mais un impact direct est sur le développement des personnages. En touchant à la forme, on prépare un terreau fertile pour que nos protagonistes poussent et mûrissent à leur maximum. Alors surtout, ne sous-estimons par la réaction. Laissons à nos héros et héroïnes le temps de respirer, de penser, de douter, de se contredire, de se questionner, surtout dans les moments difficiles.
Les larmes sont invisibles sans un esprit qui hurle.
